19 juin 2009
Ayuthaya, Nakon Chaisi, Kanchanaburi, trois villes pour trois moments forts. Ceux-ci portent en effet l’empreinte d’un passé où la main de l’homme, bonne ou mauvaise, a forgé un pan de l’histoire de l’humanité. Les émotions se succèdent au fil de nos découvertes. Entre visites de ruines classées, de voitures d’une autre époque, et d’un pont construit pendant la seconde guerre mondiale, c’est sûr, l’esprit créatif et ingénieux de l’homme est indéniable! Mais la part de souffrances et de ténèbres mérite elle aussi d’être soulignée. Ne jamais oublier les splendeurs, mais aussi les horreurs, que peuvent engendrer l’être humain. Telle fut la leçon de ces derniers jours.
Ayuthaya
Nous quittons Chang Mai sous la pluie. 650 km plus au sud, nous retrouvons enfin un temps plus clément, soit deux à trois heures de pluie par jour. Hachille et ses propriétaires apprécient!
Nous sommes arrivés à Ayuthaya, ancienne capitale royale, inscrite en 1991 au patrimoine mondial de l’Unesco.
Qui dit ancienne capitale royale, dit vestiges d’un passé glorieux où marchands du monde entier et civilisation siam se mêlaient. Sacrée, puis pillée par l’envahisseur birman, son règne, commencé en 1350, dura plus de quatre siècles. La ville, à l’inverse de Sukhotaï, est un curieux mélange de modernisme, version béton, et de vestiges de briques. Vestiges qui subirent de nombreux travaux de restauration dans les années ’50 avec le département thaïlandais de conservation du patrimoine et des aides internationales.
Nous décidons de trouver un emplacement où calme et verdure cohabitent. En plein coeur du parc historique, nous plantons notre bivouac pour les trois prochains jours : L’un des parkings de l’office de tourisme.
Au bord de la rivière Chao Praya, entourés de tamarins et palmiers, nous passons nos journées entre détente et découverte.
Armés de vélos et brochures, nous parcourons tout d’abord le centre d’Ayuthaya, cerné par l’eau de toute part.
Les plus importants vestiges se trouvent donc sur une île. Certains ont gardé leur splendeur originelle comme le wat Pra Si Sanphet, l’un des temples les mieux conservés et l’un des plus grands.
Dans la moiteur de la matinée, le lourd parfum des frangipaniers envahit le décor. Entêtantes ces belles fleurs blanches mine de rien!
Le temple, bâti vers la fin du XIVe siècle, accueillait les plus grandes cérémonies royales mais aussi les crémations.
Le temple porte la marque cinghalaise (Sri Lanka). Les principales tours (donc stupas) au nombre de trois, sont en forme de cloche et non d’épi de maïs, comme le veut la tradition khmère.
A côté de cet immense ensemble, se trouve le Mongkon Bophit.
Un sanctuaire plutôt moderne où peintures brillantes et mosaïques de verre reflétent davantage le XXe siècle. Du déjà vu on dirait… A l’intérieur, le nez en l’air, nous découvrons un grand bouddha.
Le toît d’Hachille n’y suffirait pas! La sculpture fut réalisée au XVe siècle. Un incendie endommagea cependant la partie droite du bouddha. Depuis sa restauration, les yeux sont peints, et son corps, recouvert de feuilles d’or, dénaturent la pureté de la sculpture. Dommage!
Nouveau coup de pédale, cette fois en direction de l’ancien palais royal mais aussi du Phra Mahathat, célébre surtout pour sa tête de bouddha sertie de racines.
De bon augure pour les bouddhistes quand une statue sacrée fait alliance avec la nature.
Attention à ne pas profaner cette tête en restant sagemment à l’écart ou en s’abaissant en-dessous de la tête. De quoi mordre la poussière…
Au cours de nos pérégrinations en deux roues, nous faisons également le tour d’autres temples, moins importants côté architectural mais où bon nombre de fidèles s’y pressent pour honorer leurs ancêtres ou les rois.
Le wat Thammikarat, connu pour ses lions sculptés tout autour du chedi central, est paré de multiples couleurs à notre arrivée.
Une cérémonie doit avoir lieu quelques heures plus tard, en mémoire du précédent roi, oncle de Bhumibol Adulyadej, Rama IX, l’actuel roi.
Nous y sommes conviés puis finalement de retour à l’heure dite, on nous informe qu’il s’agit d’une célébration privée. Le “fairplay” thailandais a encore frappé!
En dehors de l’île, plusieurs sites ont eux aussi leur importance. A environ 5 km du centre ville, plus au nord-est, se trouve le Kraal (signifiant “enclos”) des éléphants.
Entièrement restauré aujourd’hui, ce kraal servait au rassemblement des éléphants sauvages pour permettre la reconstitution des troupeaux domestiqués. Les pachydermes étaient en effet utilisés comme bêtes de somme mais aussi comme machines de guerre.
Un peu avant l’entrée de l’enclos, quatre sculptures de taille réelle représentent parfaitement les éléphants au combat.
Quant à l’enclos, il est constitué d’une centaine de piliers en teck plantés dans le sol. Une solide barrière pour empêcher les éléphants de sortir. En face de l’enceinte, se dresse un pavillon. Edifié pour le roi, cela lui permettait d’assister au spectacle de la meute sauvage. Le dernier eut lieu en 1903.
Derrière l’enclos, nous apercevons deux éléphants, bien vivants.
En s’approchant davantage, nous en comptons une cinquantaine. C’est dans cet endroit qu’une organisation à but non lucratif s’occupe des éléphants appelés “retraités”. Certains d’entre eux sont isolés du troupeau. Nous les approcherons à distance.
Leurs défenses suffisent à nous rappeler leur dangerosité.
Nous passons une bonne heure à observer ces pachydermes qui, entre deux lavages, dégustent leurs kilos de feuillages et légumes frais.
Au milieu de la masse, nous découvrons avec surprise et amusement trois éléphanteaux, très joueurs avec nos sacs.
Une rencontre unique et inattendue.
Retour sur la route où nous pédalons cette fois du côté opposé. C’est au sud de la ville que résidaient les colons étrangers, notamment hollandais, japonais, chinois et portugais. Pour y arriver, nous faisons un sacré détour d’une dizaine de kilomètres. Nous traversons en particulier le quartier musulman où les mosqués, et non les temples, résonnent de leurs chants. Après plus d’une heure de pédalage, nous arrivons enfin sur le site de l’ancienne colonie portugaise.
En lieu et place d’édifices, nous ne trouvons que des ruines.
Des pancartes indiquent la fonction de chaque emplacement. En trois siècles, trois ordres chrétiens se sont succédés, dominicains, jésuites et fransiscains. A quelques mètres du site, une église bâtie dans le style portugais abrite un cimetière que l’on pourrait décrire comme une “tombe à ciel ouvert”.
Il s’agit d’une fosse où sont exposés des squelettes pétrifiés, morts pour la plupart de maladie. Explicite sans pour autant être passionnant.
Ce site décide de la fin de notre visite à Ayuthaya.
De plus, nous avons rendez-vous à Nakon Chaisi, 100 km plus à l’ouest, dans un lieu où le passé resurgit lui aussi, mais dans un tout autre style…
Nakon Chaisi
Nakon Chaisi n’est pas encore inscrite parmi les sites incontournables thailandais. Et pourtant, cela mérite le détour. Quand bien même vous vous trouviez en plein coeur de Bangkok, en moins d’une heure ou deux, la ville est accessible. Outre son marché et ses balades sur la rivière, il existe un endroit unique où des hommes cultivent une passion. Celle de rassembler, collecter, et restaurer, tout type d’engin roulant ou volant de toute époque.
Jesada Technik Museum, tel est le nom donné à cet endroit.
Depuis 17 ans, un homme d’affaire, Jesada, et son beau-frêre, Soumeth, franco-lao, n’ont de cesse de rassembler les véhicules,
faisant de cet entrepôt peut-être le futur plus grand musée au monde d’engins roulants.
Incroyable mais vrai! Nous l’avons vu et parcouru des heures durant. Une histoire de passion, de passé, une histoire de fou… En témoigne notre vidéo.
Outre l’exploration du lieu qui s’étend sur des dizaines d’hectares, nous sommes accueillis comme des rois.
Le soir de notre arrivée, Soumeth nous annonce que Jesada a organisé une soirée en notre honneur avec quelques uns de ses amis, dans un hôtel cinq étoiles en plein coeur de Bangkok.
Euh, oui mais pour ce genre de circonstances, nous n’avons pas de vêtements suffisamment “classe”. Soumeth nous rassure et affirme que la soirée est informelle.
L’idée de nous retrouver en plein coeur de Bangkok nous séduit. Deux heures plus tard, en voiture, taxi, puis métro, nous arrivons sur le lieu du rendez-vous. Les bouchons nous ont mis en retard. Tout le monde nous attend. Aïe!
Dans un salon privé, avec cinq serveurs pour moins de dix personnes, nous faisons la connaissance de Jesada et de ses amis, hommes d’affaires ou politiciens, dont l’ancien ministre de l’intérieur et ancien président de l’Assemblée Nationale, ou encore un sénateur.
Entre deux pauses, Soumeth nous expliquent que l’un est “rouge”, l’autre “jaune”. Mais pour cette soirée, ils sont amis. Anglais, français, et thailandais, les conversations sont parfois comiques. Le moment tant attendu pour ces messieurs durant cette soirée… Le karaoké! Pendant trois heures, chacun des participants, seul ou à deux, pousse la chansonnette.
On s’imagine en compagnie de Philippe Séguin, Charles Pasqua, voire Michèle Alliot-Marie, qui tour à tour, micro en main, s’évertuent à interpréter des chansons, le plus souvent à l’eau de rose.
Plutôt drôle mais inimaginable en France non?
MAM, on se ferait pas Rock Voisine et son titre “Hélène” ensemble?...
La soirée va s’éterniser jusqu’à minuit. A cette heure, on est un peu KO. Le karaoké traînant en longueur nous a, avouons-le, littéralement achevé! A ce moment là, on nous demande de quitter la salle une dizaine de minutes. Des discussions d’ordre politique doivent avoir lieu. On attend dans le hall, à moitié endormis sur des canapés. On explique à Soumeth que l’on peut reprendre un taxi. Mais Jesada veut absolument nous reconduire et cela serait vraiment impoli. A 1H30 du matin, ces messieurs ressortent enfin! Les jaunes et les rouges se sont-ils réconciliés? Avons-nous servis d’intermédiaire ludique à une future réconciliation?... Quelle soirée!
Jesada nous fait raccompagner dans sa voiture à l’histoire elle aussi très particulière. Il s’agit de la Mercedes de l’empereur japonais venu en 2006 célébrer les soixante ans de règne du roi thailandais.
Son altesse a utilisé la voiture uniquement pour la cérémonie. Vendue aux enchères par la suite, Jesada a remporté la vente. Un vrai bunker cette voiture.
Nous vivons dans un autre monde pour sûr! Le nôtre est sûrement plus simple mais il a sans aucun doute notre préférence. Hachille, “t’es vieux, t’es dur parfois, mais t’es trop bien!”
Le lendemain, tout le monde est sur le pied de guerre au musée. La presse thailandaise arrive.
Jesada et Soumeth nous font faire le tour du propriétaire. Au cours de la visite, une colonie de “paparazzi” est à nos trousses.
Les photos et les questions se succédent. La chaîne 7 réalise un reportage sur notre périple. Sujet que nous verrons le soir même aux 20H00.
Hachille adore son rôle de vedette et nous, nous nous amusons beaucoup.
Ces deux jours passés au Jesada technik Museum resteront longtemps dans nos mémoires.
A l’heure actuelle, le musée qui n’en est pas tout a fait un encore, faute d’aménagement, abrite une centaine de véhicules restaurés et plus de deux cents en cours ou en attente de restauration.
Hachille a trouvé son grand frère d’avant 1955 qui doit lui aussi retrouver une nouvelle jeunesse.
Que d’invention, de talent et d’ingéniosités humaines peut on voir dans ce musée où l’histoire, vieille de plus d’un siècle parfois, se respire au travers de ces véhicules.
Kanchanaburi
80 km encore plus à l’ouest, Kanchanaburi. Nous décidons de retourner encore une fois dans le passé. Champs fertiles de canne à sucre, forêts protégées, montagnes sacrées, mode de vie traditionnel, la région, frontalière avec le Myanmar, récèle de multiples trésors. Mais faute de temps et de véhicule adapté, nous avons décidé de nous arrêter uniquement dans la ville. Kanchanaburi est célèbre certes mais quelle célébrité! C’est ici que fut construit pendant la seconde guerre mondiale le pont de la rivière Kwaï.
Un morceau du terrible chemin de fer que les hommes ont baptisé “chemin de fer de la Mort”. Celui-ci devait relier Bangkok à Rangoon. Un chemin de 415 km, une hérésie technique au vu du relief accidenté.
Objectif pour les japonais: Créer une route de ravitaillement pour permettre la conquête de l’Inde. Ambitieux ces messieurs! A l’image des allemands à la même époque.
Entre 1942 et 1943, années d’occupation de la Thaïlande par les japonais, les ingénieurs contraignirent les prisonniers de guerre à achever certains travaux dans un temps plus que limité. Exemple: Idée de départ d’un tronçon, cinq ans. Réalisation définitive: Seize mois!
Le pont, détruit en 1945 par les alliés, a été depuis lors reconstruit. Des trains circulent toujours et ce deux fois par jour.
Certaines parties de la structure métallique du pont sont d’origine et portent l’année de leur mise en place.
Mais plus que l’ouvrage, c’est la souffrance endurée par des milliers d’hommes qui détermine la visite. Le pont est un lieu de mémoire des victimes.
Au musée du chemin de fer thaïlande-Birmanie, des expositions donnent un aperçu de la folie du projet, de son idée à sa réalisation. Extrêmement bien documenté, il présente également, et ce dans sa totalité, l’horreur indicible qu’on subit des êtres humains pour satisfaire les ambitions d’autres êtres. A la fin de la guerre, on dénombra 15000 prisonniers de guerre et 100 000 prisonniers civils décédés uniquement pour ce projet.
Morts par malnutrition, maladie et mauvais traitements.
En face du musée, deux cimetières se jouxtent.
Celui des chinois et celui des alliés. Les pierres tombales indiquent l’âge. Entre 20 et 30 ans.
Documents et films sont nombreux sur cette histoire. Le passé ne peut s’oublier…
Kanchanaburi marque l’une de nos dernières étapes de visite en Thaïlande. Dans moins de deux semaines, nous entrerons de nouveau en Malaisie. Mille kilomètres nous séparent de la frontière. Nous allons donc descendre doucement mais sûrement la côte sud thailandaise. Une route empruntée l’année passée. Pour éviter une certaine répétition, nous marquerons une pause sur Ko Samui, une petite île dans le golfe de Thaïlande… Mais cela est bien sûr une autre histoire…